Catherine L’Ecuyer
Les enfants qui ont déjà tout vu et tout fait, ceux que plus rien ne saurait surprendre ni intéresser parce qu’ils ont tout à portée de clic
Que devient l’enfance de nos enfants? Est-elle endormie, égarée, refoulée ou oubliée ?
Bien sûr, nos enfants semblent mordent à pleines dents dans la vie, laissant dorénavant de côté poupées qui les ennuient et jeux sans écrans démodés depuis longtemps. Ils semblent évolués, «matures» et brillants ; avec leur iPhone dernier cri, ils seront sûrement plus savants que leurs parents.
Mais la question n’est pas déraisonnable au moment où l’enfance résiste mal au un terrible raz-de-marée de l’hyper éducation et de l’hyper connexion qui caractérise cette nouvelle génération.
Qu’en est-il de l’enfance des garçons et des filles qui ont «tout vu, tout fait» et ne s’étonnent plus ou ne s’intéressent plus à rien ? Des enfants à qui il suffit d’un clic de souris ou d’un mouvement de doigt pour voir tout ce qu’il y a à voir, puisqu’on ne leur laisse jamais donné le temps de désirer quoi que ce soit ?
Laissez-les jouer avec un écran tactile dès l’âge de deux ans, et leurs délicats petits doigts découvriront des images néfastes qui resteront longtemps gravées dans leur esprit innocent. Ces enfants devenus cyniques auront mille fois tiré d’une arme et tué d’apparents ennemis dans leur monde virtuel ; ils auront perdu toute sensibilité ; seront incapables de saisir un regard, d’interpréter une expression faciale ou de se montrer courtois et attentifs. Ils seront incapables de s’émerveiller, devenus aveugles aux beautés du monde réel, auquel ils ne peuvent plus « s’adapter ».
Des enfants esclaves de modes et de « normes » de beauté qui les condamnent à une estime de soi amoindrie, ou même à l’anorexie.
Des enfants dont le sac d’école et l’agenda sont tellement surchargés qu’ils deviennent aussi stressés que des petits dirigeants d’entreprises, écrasés sous le poids des obligations et des activités.
Des enfants qui n’auront jamais eu le temps de sauter dans les flaques d’eau ou de semer le chaos dans une colonie de fourmis, mais qui auront visionné plus de pornographie
que les adolescents des générations précédentes, quand il fallait encore faire des pieds et des mains pour dénicher une revue et la feuilleter en secret.
Ce n’est pas une coïncidence si les endocrinologues s’alarment devant l’actuelle tendance à la puberté précoce, en faveur d’une adolescence plus longue. Étrangement, en tant que parents, nous sommes pressés de voir nos enfants plonger dans une étape de la vie que nous trouvons pourtant angoissante.
Tout aussi étrangement, les frontières entre les générations sont de plus en plus floues, de l’enfance jusqu’au troisième âge. La styliste Carolina Herrera a dit que rien n’accentue davantage l’âge d’une femme mure que lorsqu’elle s’habille comme une jeune. Quel dommage que si peu de gens acceptent le vieillissement pour ce qu’il est: un phénomène beau et naturel! La beauté est là en soi, dans chaque âge, et pas seulement par comparaison aux autres âges.
L’enfant n’est pas un mini-adulte, un adulte immature. Il est et restera enfant, jusqu’à ce qu’il soit naturellement prêt à tourner la page. Sans mauvaise foi et peut-être par confusion entre ignorance et innocence, cette condition nécessaire au bon développement de l’être humain est tombée dans l’oubli, à contrecourant même de la nature. Qui oserait sérieusement défendre l’abolition d’une saison comme le printemps, ce passage entre l’hiver à l’été, dont le besoin de la nature est si évident ? Il est temps de remédier à cette lacune et de redonner à nos enfants l’« enfance », cette étape fragile, merveilleuse et sacrée qui leur revient tout naturellement.
Note: Ce texte est une adaptation d’un article publié en espagnol dans le quotidien espagnol El País et d’un passage du livre Cultiver l’émerveillement (écrit par l’auteure et traduit en français par Eva Lavergne). Aide à la traduction de cette nouvelle version: Julien Malenfant.